La Création du Monde de Čiurlionis entre la Bible et l’Enuma elish

A la fin du XIX siècle, le patrimoine d’images issues de la Grèce classique commença à apparaître insuffisant dans la culture figurative européenne, si bien qu’un intérêt croissant prit le pas, ou pour le moins se développa en parallèle, à l’égard des cultures orientales anciennes, parfois investies de vertus mystérieuses et parfois analysées de par l’abondance de suggestions formelles. De l’Egypte à Babylone, et parallèlement aux découvertes archéologiques et au développement de la mythologie comparée, un nouvel univers d’images « exotiques » conquiert un vaste secteur du Symbolisme européen, plus particulièrement dans les régions centrales et du Nord de l’Europe. Čiurlionis aussi, dans sa soif omnivore de connaissance, se rapproche de l’étude des cultures et des philosophies orientales, probablement à travers la lecture de Flammarion. Un des cycles les plus importants peints par Čiurlionis, La Création du Monde (1905-06), suggère plus que tout autre les traces de son intérêt à l’égard des anciens mythes orientaux, revécus à l’enseigne d’un syncrétisme singulier qui guidera toute son œuvre picturale. La Création de Čiurlionis semble, en effet, tirer son ordre et ses images d’une superposition personnelle de la première Genèse biblique avec l’Enuma elish, le poème babylonien de la création, auquel s’ajoutent de délicates références à la théogonie égyptienne. Par l’inconscient mélange mnémonique de ses lectures, qui transparaît dans La Création du Monde, Čiurlionis met en lumière, pour reprendre les propos éclairants de Vjačeslàv Ivànov au sujet du peintre lithuanien, les « gisements primordiaux d’une grande cosmogonie, marquée dans notre conscience solitaire, depuis les origines et à jamais. »